Plasticiennes


AURÉLIE PIAU


Aurélie Piau vit et travaille à Montpellier depuis l’an 2000. En galerie depuis 2008, ses tableaux et dessins sont exposés à Bruxelles Paris Strasbourg Thessaloniki Luxembourg.. En 2015 elle réalise le papier peint commandé par Rodrigo Garcia pour le CDN à Montpellier. En 2019 son oeuvre peinte entre dans les collections du FRAC. En 2020 elle construit un atelier de production de faïence d’artiste à la cooperative culturelle LaTendresse . En 2021 la pièce « Roger love in prolo » est exposée à la Panacée-MOCO pour la biennale du territoire S.O .L.

Aurélie Piau peint et dessine les formes quasi naïves d’un univers qui ne s’écarte jamais tout à fait de l’enfance. À première vue, le moins qu’on puisse dire au sujet de ses toiles est qu’elles ne veulent pas sembler abouties, qu’elle jouent de la malfaçon volontaire, au sens où les formes et les couleurs refusent le fignolage. On est donc loin d’une peinture réaliste, d’un reflet fidèle du réel.

Pourtant, quand on demande à Aurélie Piau ce qui la pousse à peindre, elle parle de politique — ce qui, d’une certaine façon, est le réel dans ce qu’il a de plus trivial. L’artiste dit de son travail qu’il se joue des mots et des peurs qui traversent notre société. Elle nous rappelle l’attitude de Marguerite Duras face à sa création dans ce que la politique provoque de viscéral en elle. La peinture d’Aurélie Piau pourrait en effet être la version imagée des mots de Duras dans Outside: « On est tranquille, tout le monde est désespéré, ça devient un état d’homme. Ca devient un passéisme, et le plus dangereux. Il faut sortir de là, je crois. On nous a appris depuis l’enfance que tous nos efforts devraient tendre à trouver un sens à l’existence qu’on mène, à celle qu’on nous propose. Il faut en sortir. Et que ce soit gai.
En quoi cela peut-il être gai?

La charnière c’est la peur inculquée, du manque, du désordre. Il faut la surmonter. Je le dis: quand quelqu’un n’a plus cette peur, il fait du tord à tous les pouvoirs. Il y a une équivalence totale entre tout, l’individu ne peut s’en sortir que par lui-même, en retrouvant une indifférence fondamentale à l’égard de ce qui se propose, affaires politiques, affaires commerciales. Il faudrait que la peur diminue: chaque fois qu’elle est là, le pouvoir a prise. La liaison est directe entre peur et pouvoir. »
Il semble en effet être question d’un gai désespoir, d’une tristesse colorée dans l’oeuvre d’Aurélie Piau. Par cette façon d’abord très enfantine dont les sujets et les objets habitent les peintures, habillés en culotte courte, la mine déconfite devant la tombe de Mr L’expert, parmi des accessoires de cotillon d’un anniversaire qui n’est plus ou d’un pistolet à bouchon solitaire. L’enfance est là présente à l’état de vestige, comme dans une kermesse terminée. Cette ambiance d’après fête — que Fellini savait rendre comme personne dans ses films — dégage une mélancolie profonde, métaphysique.
La réunion d’experts, sur une note pour le moins cynique, représente la rencontre du sérieux technicien et de la légèreté d’une réjouissance suspecte, d’un nouvel an lugubre. L’impression première de ce travail est très rapidement complétée par la récurrence d’un vocabulaire pictural que les couleurs acidulées qui ponctuent ses toiles nous avaient empêché de saisir de prime abord. On y voit des pied de biche, des mâchoires, des fils télégraphiques, le logo Paramount, des coeurs gros, ainsi que des occurrences nombreuses de l’expression cinématographique The end.

Ces tableaux contiennent, d’une part, la réminiscence de l’enfance telle qu’elle a pu être représentée traditionnellement: idéale, insouciante, parfaite; et d’autre part, un support volontairement modeste, presque pauvre. L’écart entre le sujet et son traitement fait jaillir une forme d’humour qu’on pourrait qualifier d‘engagé tant le discours qui émerge pointe du doigt les dysfonctionnements d’une société experte qui court à sa perte. De manière opposée à la volonté d’exprimer un inexprimable, qui est celle de tant d’artistes, peut être avons-nous affaire ici à une approche qui, maltraitant les lieux communs pour leur offrir un nouveau sens, tenterait d’inexprimer l’exprimable, selon la formule de Roland Barthes.

C’est pourquoi les mots de l’artiste pour qualifier son travail semblent être la façon la plus juste d’en rendre compte: il s’agit en effet de « continuer à dessiner mon journal d’une suffragette de cuisine pour ne pas devenir terroriste.


YASMINE BLUM


Destinée à une carrière scientifique et fauchée en plein vol par un niveau minable en math, je me rabat sur les arts. Il y a dans ma pratique et les thèmes abordés un attrait certain pour la vocation première.

Je pourrais décrire des axes de recherche et mes thèmes de prédilection ; Ainsi, j’ai tenté d’épuiser le thème du monstre, j’ai célébré la beauté du vivant dans des dessins de biologie cellulaire, assemblé des formes naturelles, brodé des aberrations médicales. J’ai donc une certaine affinité avec les sciences, mais aussi avec la métaphysique, l’alchimie, le vaudou, les rêves, les métalangages, les obsessions, la psychologie institutionnelle, la transe, l’artisanat domestique.

Presque tout artiste a un ou des éducateurs. J’ai eu, moi, la chance d’avoir une mère que j’ai toujours vue peindre et dessiner (c’est aujourd’hui son activité principale) et qui m’a très tôt initiée aux travaux manuels et au dessin. Elle avait (et elle a toujours) des convictions éducatives et politiques bien assises et une véritable approche pédagogique. Je me suis personnellement aperçue à l’école que je dessinais bien, et cela dès la maternelle, par les retours de mes professeurs et de mes camarades. J’étais timide et même introvertie mais le dessin me distinguait. Je m’y suis accrochée autant parce je trouvais ça amusant que parce que ça me permettait de plaire aux autres.

J’ai, par la suite, assez naturellement entretenu une relation régulière au dessin. Mais on ne prêtait pas vraiment attention à cette forme d’expression dans les écoles d’art que j’ai fréquentées à cette époque. Je me souviens surtout qu’on m’a plutôt découragée de persévérer dans cette voie.
Le tournant notable date du moment où j’ai dû travailler, après les Beaux-Arts. C’est alors que j’ai saisi – empiriquement – le sens du mot «sublimation».

Le dessin me permettait de renouer avec le sacré, le symbole, les archétypes, l’inconscient collectif, donc de faire du lien entre les choses et avec les autres. J’ai dès lors envisagé la création comme un outil de résistance à la perte de sens qu’induit le travail alimentaire et à la violence des institutions ; j’ai dès lors engagé une pratique obsessionnelle, intime, et finalement assez mystique avec la création.